Instagram, Snapchat, TikTok, Facebook, YouTube, WhatsApp… Les réseaux sociaux, pourtant normalement interdits avant l’âge de 13 ans, ont un succès phénoménal chez les jeunes écoliers et collégiens.
Leur usage par les adolescents est un sujet d’inquiétude et de discorde au sein de la famille. De nombreux parents craignent les effets néfastes que peuvent avoir ces applications sur la santé mentale de leurs enfants.
Pourquoi et comment les réseaux sociaux rendent « accros » nos enfants ?
Quels sont les risques majeurs encourus par les adolescents ? Comment les aider à se diriger vers une utilisation plus saine de ces outils numériques ?
Le succès des réseaux sociaux chez les adolescents : « l’économie de l’attention », ou l’orchestration de la dépendance
Un sondage IFOP de 2021, interrogeant les parents d’une école élémentaire a établi que 34% des jeunes étaient inscrits sur Snapchat, 33% sur TikTok, suivi de près par WhatsApp avec 30%, Instagram et Facebook étant moins attractifs pour les ados (26% et 22%) : « Derrière ces moyennes, il faut savoir que 21% des élèves d’école élémentaire ont au moins un compte sur un réseau social, alors qu’ils sont théoriquement interdits aux moins de 13 ans », a précisé l’étude.
La tendance s’accentue au collège où les élèves de 4ème et de 3ème sont 58% à être inscrits sur Snapchat. 55% d’entre eux sont sur TikTok. 46% utilisent WhatsApp. Et ces chiffres augmentent chaque année.
L’inscription sur les réseaux sociaux se fait donc de plus en plus tôt. Pourtant, beaucoup d’ingénieurs de la Silicon Valley, ayant eux même conçu tous ces « capteurs d’attention », en interdisent l’accès à leurs enfants.
À travers des algorithmes, tout est mis en place pour que l’enfant passe le plus de temps possible sur le réseau social utilisé. Pire, qu’il en soit « accro ». Les boutons « like » et les filtres jouent un rôle important dans le risque d’addiction créé sciemment par les concepteurs de réseaux sociaux.
Ces entreprises prônent le bonheur numérique, mais dans la réalité, ces plateformes colmatent un mal-être déjà présent chez de nombreux adolescents. Les notifications stimulent le circuit de la récompense du cerveau, et agissent ainsi comme une drogue. En réactivant ce système autant de fois qu’il le souhaite, l’adolescent va trouver du plaisir, et tomber ainsi dans la dépendance. Les réseaux sociaux flattent et donne l’impression d’exister.
Ils agissent de la même façon sur nous, adultes, mais notre expérience et notre recul nous permettent la plupart du temps de garder la maîtrise de notre utilisation. Mais l’adolescent, est un être « normalement » fragile, sujet aux questionnements, aux doutes, et à une forte quête identitaire. Il est vulnérable face à l’attrait sans cesse amélioré de ces plateformes numériques.
Ces stratégies sont très bien intégrées dans les applications et réseaux sociaux à succès. Sur Snapchat, par exemple, les flammes que l’on amasse chaque jour nous incitent à vouer une fidélité totale à l’application de crainte de les perdre, car la règle du jeu est de ne pas laisser son compte sans activité plus de vingt-quatre heures ! L’équation est donc assez logique : envie d’être fidèle à l’application en acceptant ses règles du jeu + peur de tout perdre si l’on n’y revient pas assez régulièrement = obsession.
Un autre exemple, le fonctionnement de Facebook : il est basé essentiellement sur l’amitié, l’échange et la réciprocité, qui répondent précisément au besoin de sociabilité et de validation sociale qu’ont les adolescents ; les mentions « j’aime », les commentaires et le nombre d’abonnés sont considérés comme une récompense et comme un signe de popularité, de validation. Le chemin de pensée est assez court pour passer de « ce que je publie est aimé » à « je suis moi-même aimé » voire « je mérite d’être aimé ».
Certains ados surinvestissent leur moi virtuel au détriment de leur moi réel, et se construisent dans un regard idéalisé qui n’est pas le leur.
23% des jeunes filles britanniques affirment qu’elle se sentent mieux sans Instagram, sans parvenir pour autant à quitter le réseau d’images, devenu trop familier, comme un doudou… Ou une drogue.
Les dangers de l’utilisation des réseaux sociaux par les adolescents : l’isolement, la perte de repères, de décalage face au monde réel, la mésestime de soi, le cyberharcèlement…
Les adolescents sont les plus susceptibles de rencontrer des problèmes d’isolement ou de décalage face au monde réel. Effectivement, les réseaux sociaux ont changé les rapports à l’amitié, en proposant d’appréhender l’environnement proche via la proximité et la disponibilité.
Ils peuvent également perdre l’habitude de profiter des moments de solitude ou d’attente, et le supportent parfois mal, étant constamment dans l’hyperconnexion. Cela peut les mener à perdre leurs repères dès qu’ils n’ont plus de nouvelles instantanées de leurs « amis », habituellement disponibles si facilement.
En outre, sur les réseaux, les relations sont faciles mais en grande partie illusoires : « ami » n’y a pas le même que dans la vie réelle.
Par ailleurs, l’adolescent, dans une quête d’idéal, va s’identifier à des modèles irréels voire utopistes. Il ne veut pas ressembler à ce qu’il est véritablement. Ce phénomène est encore plus stigmatisé chez les jeunes filles.
« Nous empirons le rapport de son corps d’une adolescente sur trois », écrit en 2019 l’un des experts embauchés par Instagram dans une note interne, publiée par le wall Street Journal. En effet, l’impact négatif de l’estime de soi est l’un des dommages les plus importants causés par les réseaux sociaux, notamment les réseaux d’image comme Instagram.
La comparaison est le drame dans cette guerre des clônes ; guerre dans laquelle chaque enfant est d’emblée ramené à la crainte de ne pas être à la hauteur, ce qui cause une souffrance inouïe. C’est un piège que tendent aussi les influenceuses, donnant l’impression de proximité, tout en stimulant l’envie, la jalousie, et la consommation des produits qu’elle prône pour tenter de lui ressembler.
Les adolescents sont soumis à cette dictature du bonheur et de la perfection qui défile sous leurs yeux à longueur de journée.Le statut même de l’image est une forme de dérive qui n’est pas celui d’une apparence purement esthétique, mais d’un enjeu existentiel.
On a l’impression que si la chose n’est pas photographiée, elle n’existe pas.
Le cyberharcèlement comme la cyberdépendance représente aussi un grave danger pour la jeune génération.
Les cyberviolences ont plusieurs formes : messages texte, photographies commentées, vidéo. Elles peuvent être l’expression de moqueries, de menaces, d’insultes, d’agressions à caractère sexuel, de racisme, de rumeurs, d’humiliation, de lynchage, de divulgation de documents privés… Elle peut aussi consister en une usurpation d’identité ou un usage frauduleux d’un mot de passe, par le biais de mails, de SMS, ou des réseaux sociaux.
Récemment, par exemple, à la suite du clip d’une youtubeuse précoce, les « 2010 » sont devenus récemment l’objet de raillerie proche de la haine, de la part de leurs aînés collégiens (hashtag #Anti2010).
Vers une règlementation des réseaux sociaux pour les jeunes ?
Aux États-Unis, Derek Thompson, a publié un article dans le journal The Atlantic, intitulé : « Les réseaux sociaux sont l’alcool de l’attention ».
En France, c’est au tour du philosophe français Gaspard Koenig d’alerter les parents sur les effets délétères des réseaux sociaux dans une chronique sans équivoque offerte aux Échos : « Interdisons les réseaux sociaux aux ados ».
L’essayiste français appelle à une interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 16 ans.
« Il est temps – dit-il – de légiférer sur les réseaux sociaux comme sur les drogues. 16 ans est l’âge auquel on peut rentrer dans un bar, cela devrait être le seuil légal pour pénétrer dans le grand tripot de la désinformation… Car les réseaux sociaux ne sont pas de simples intermédiaires neutres et bienveillants. Leur modèle économique, fondé sur la récolte et la monétisation des données personnelles, nécessite d’optimiser « l’engagement » de leurs utilisateurs, mot poli pour désigner l’addiction… Les meilleurs neuroscientifiques, débauchés à grands frais par les plateformes, s’emploient à titiller les circuits de récompense de nos cerveaux. Il faut traiter les réseaux sociaux pour ce qu’ils sont : une drogue distribuée gratos à la sortie de l’école. »
Cet appel à la légifération de part et d’autre de l’Atlantique marque le début d’une prise de conscience. Afin de rétablir une justice sociale, déjà, puisque les enfants de familles défavorisés sont plus livrés à eux-mêmes sur les écrans. Mais pour assurer à la jeune génération une construction psychique plus saine, surtout.
En attendant, il ne s’agit pas d’interdire, ce qui semble quasiment impossible sans l’aide de l’État, mais de poser un cadre à l’utilisation des réseaux sociaux de nos enfants.
Le psychologue et spécialiste des addictions au numérique Michaël Stora juge le clivage parents/enfants néfaste et préconise que l’on s’intéresse aux contenus que visionnent nos adolescents, plutôt que de les diaboliser.
Par ailleurs, on ne peut oublier que les réseaux sociaux ont permis durant les confinements successifs de maintenir le lien social entre les adolescents.
Lorsqu’il n’y a pas d’abus, l’outil numérique est un outil indispensable pour les ados. Beaucoup d’entre eux utilisent Snapchat comme une simple messagerie, et les influenceurs YouTube tels que Squeezie et Cyprien, deviennent un sujet d’échanges dans les cours de récréation.
Il faut cependant savoir observer et reconnaître les symptômes psychologiques de la dépendance, et saisir la bonne opportunité pour aborder le sujet d’une manière souple avec notre enfant. Apprendre aux ados à être autonomes, à se responsabiliser et à se forger un avis, et surtout garder en tête que les comportements excessifs font partie de la période de l’adolescence.