biais_cognitif

Tous biaisés ? Les biais cognitifs, ou comprendre nos modes de fonctionnement

Les biais cognitifs sont des schémas de pensée rapides et intuitifs utilisés systématiquement par notre cerveau, qui dévient nos réflexions et nos actions dans différentes situations. Ces mécanismes, bien qu’utiles, sont souvent à l’origine de jugements erronés et irrationnels. 

Comment faire pour les reconnaître et quelles sont leurs répercussions ? En répondant à ces questions, il sera peut-être plus évident de prendre conscience de nos erreurs de jugement, et de les surmonter.

À l’origine des biais cognitifs : les heuristiques 

Nous ne sommes pas des êtres exacts, notre cerveau nous joue souvent des tours et nous pousse à l’erreur.

Chacune de nos actions quotidiennes nécessite des décisions, immédiates et inconscientes. Monter un escalier, manger, applaudir, répondre à une question…Tout cela implique une prise de décisions (lever la jambe droite, puis la jambe gauche, soulever une fourchette, prendre de la nourriture, la porter à sa bouche, rapprocher ses mains jusqu’à ce qu’elles claquent…).

Nous appelons heuristiques les réflexes fondés sur une appréhension approximative et intuitive du réel qui fournissent rapidement des solutions réalisables, pas forcément optimales, mais qui marchent à peu près correctement.

Nos actions de tous les jours sont pour la plupart des heuristiques. 

Mais la pensée a aussi les siennes. Par exemple notre cerveau va souvent arrondir l’heure qu’il est à un chiffre facilement mémorable et communicable. 

Ces heuristiques nous permettent de composer avec les limites de notre attention et de nos facultés cérébrales : nous n’avons pas les capacités attentionnelles, le temps ou l’énergie d’intégrer l’ensemble des informations que l’on reçoit dans une situation donnée avant de prendre une décision. 

Les heuristiques nous permettent donc de réaliser toutes ces petites actions dont nous n’avons pas conscience et qui nous servent au quotidien. Mais il existe des cas de figure dans lesquelles un réflexe de pensée trop rapide approximatif peut nous pousser à commettre des erreurs. 

Les psychologues Daniel Kahnemann et Amos Tversky ont appelé ces déviations de la pensée conduisant à des erreurs de jugement ainsi qu’à d’autres interprétations illogiques ou irrationnelles d’une situation donnée des biais cognitifs. 

C’est ainsi que dans certains cas nous prenons des décisions trop rapidement en nous appuyant sur un nombre limité d’éléments que l’on considère comme représentatifs d’une situation. Il s’agit d’un raccourci mental. 

Personne n’échappe aux biais cognitifs, car ils sont presque toujours inconscients. 

« Ils agissent en quelque sorte comme des automatismes et peuvent être liés à des émotions – peur, colère, anxiété – ou à des habitudes de pensée acquises depuis longtemps », souligne Cloé Gratton, doctorante en psychologie, dans son encyclopédie virtuelle nommée raccourcis.  « Ils surviennent, notamment, dans des contextes où l’on doit prendre une décision ou porter un jugement rapidement. »  

Aux travaux de Kahneman et Tversky, des centaines de biais Cognitifs ont été répertoriés et des chercheurs continuent à en identifier régulièrement. 

La dissonance cognitive

La dissonance cognitive est un sentiment d’inconfort mental que nous ressentons lorsque nous abritons des pensées ou opinions qui entrent en contradiction avec nos comportements.

Pour conserver un fonctionnement moteur et cérébral optimal, tous les organismes vivants tentent d’atteindre un état d’équilibre interne nommé homéostasie. L’être humain n’échappe pas à la règle. Cet état d’équilibre est aussi valable pour le corps que pour le cerveau : lorsque des informations entrent en désaccord avec nos préférences, nos convictions ou nos comportements, vous éprouvez un état de tension qui rompt avec votre homéostasie. Léon Festinger, psychologue américain, lui a donné le nom de dissonance cognitive. 

Dans ses travaux, Festinger explique que, naturellement, le cerveau aspire à vouloir réduire cette tension. Alors pour résoudre la dissonance, nous allons inventer des justifications, modifier la valeur attribuer aux informations. 

C’est ce mécanisme qui est à l’œuvre chez les fumeurs par exemple. Ils savent très bien tous les méfaits de la cigarette, mais continuent de fumer. Alors, pour résoudre cette dissonance, il va s’inventer des justifications ad hoc du type « je suis trop stressé », « je préfère fumer que grossir », « nn doit bien mourir de quelque chose »…

Festinger a défini trois étapes dans le processus de réduction de la dissonance cognitive : identifier l’évènement qui nous fait rentrer en dissonance, modifier son comportement ou sa croyance pour retrouver une consonance, enfin, si nécessaire, ajouter de nouvelles informations qui peuvent atténuer les effets de la dissonance. Nous utilisons donc des biais cognitifs pour retrouver une homéostasie.

Les biais cognitifs les plus courants 

Les biais cognitifs peuvent être sensori-moteurs (illusions), mnésiques (traitement des souvenirs), attentionnels (traitement des informations), de jugement, de raisonnement, ou encore ils peuvent être liés à l’individu, sa culture ou ses habitudes.

Les biais dont on parle le plus dans cette période d’avènement des infox, , sont les biais de confirmation et le biais de la preuve anecdotique.

Le biais de confirmation nous pousse à ne prendre en considération que les informations qui renforcent notre opinion, nos convictions, nos croyances, et de rejeter comme fausse toutes les autres idées qui pourraient être présentées.

« Beaucoup de gens ne lisent dans les journaux que les textes des chroniqueurs dont ils partagent la vision du monde, observe Cloé Gratton. « Sur les réseaux sociaux, des individus ont tendance à préférer les échanges avec des personnes qui s’intéressent aux mêmes sujets qu’eux et qui partagent des opinions proches des leurs. » ajoute-t-elle.

Le biais de la preuve anecdotique est l’utilisation d’un exemple anecdotique pour justifier notre raisonnement. C’est ce que font les gens qui veulent interdire certains jeux vidéo sous divers prétextes, par exemple la violence qu’ils sont censés générer. Pour ce faire, ils citent des cas isolés de jeunes qui ont commis des violences et qui y jouent. Or, en faisant cela, ils omettent de parler de tous les autres adolescents qui jouent aussi mais qui n’ont jamais commis d’actes violents. C’est la preuve par l’anecdote.

Le biais de sélection est la tendance, dans l’étude d’un sujet, à sélectionner certaines informations au détriment d’autres tout aussi pertinentes, ce qui nous conduit à avoir une vision tronquée du sujet.

D’autres biais reflètent l’intervention de facteurs motivationnels, émotionnels ou moraux ; par exemple, le désir de maintenir une image de soi positive ou d’éviter une dissonance cognitive (avoir deux croyances incompatibles) déplaisante.

Le biais de sélection couplé à celui de confirmation est un système très utilisé par les influenceurs sur les réseaux sociaux. La plupart d’entre eux choisissent de montrer uniquement ce que leur communauté a le désir de voir.

Le biais de représentativité est la tendance à juger une personne ou une situation en se fondant sur un nombre d’éléments limité mais que nous considérons comme représentatif de cette personne dans cette situation.

L’effet Barnum  (ou Forer) est un biais qui conduit à croire à un énoncé qui dit quelque chose de notre personnalité (horoscope, bilan de compétences, cartomancienne…) et cela en vertu de trois facteurs : d’abord, parce que nous pensons que l’énoncé a été rédigé spécifiquement pour nous (biais de personnalisation) ; ensuite, parce que la personne qui s’adresse à nous est une figure d’autorité (biais d’autorité), et enfin parce qu’il est énoncé de façon assez vague et positif pour s’adresser à tout le monde et donner envie d’y croire (biais de sélection)

L’effet Dunning-Kruger est le résultat de biais cognitifs qui amènent les personnes les moins compétentes à surestimer leurs compétences et les plus compétentes à les sous-estimer. Cet effet a été démontré dans plusieurs domaines. 

Il est aussi appelé biais de sur confiance. C’est le pic de confiance en nos capacités qui se manifeste chaque fois que nous découvrons un nouveau sujet et que les premières connaissances acquises nous poussent à croire que nous maîtrisons le sujet.

Nous avons tous un jour commencé une activité, une formation, un instrument. Si nous sommes honnêtes, il arrive souvent que nous pensions déjà maîtriser le sujet à peine avons-nous commencé à nous y intéresser. 

Contrairement, plus on maîtrise un sujet, plus on mesure l’ampleur des connaissances qu’il nous manque.

Le biais d’autocomplaisance est la tendance à s’attribuer le mérite de ses réussites et à attribuer ses échecs à des facteurs extérieurs défavorables.

L’effet de halo se produit quand la perception d’une personne ou d’un groupe est influencée par l’opinion que l’on a préalablement pour l’une de ses caractéristiques. Par exemple, une personne de belle apparence physique sera perçue comme intelligente et digne de confiance. 

Le biais de notoriété, qui implique que l’on se fie plus à telle ou telle personne, parce qu’elle est connue des médias, est aussi un effet de halo.

Le biais rétrospectif est la tendance à surestimer, une fois un événement survenu, comment on le jugeait prévisible ou probable.

Le biais d’optimisme est une tendance à accorder plus d’attention aux bonnes nouvelles qu’aux mauvaises. Ce biais concerne surtout les personnes dites optimistes, qui voient souvent le verre à moitié plein, et ignore les désavantages d’une situation. Il peut être utile, mais tronque aussi la réalité.

L’illusion positive est un optimisme irréaliste lié à une sur-évaluation de ses capacités. Des études ont montré que la majorité des gens ont tendance à se considérer meilleurs que la moyenne sur une diversité de sujets, ce qui est nécessairement erroné. Un exemple d’illusion positive très répandue est l’illusion de supériorité morale.

Le biais de statu quo est la tendance à préférer laisser les choses telles qu’elles sont, un changement apparaissant comme apportant plus de risques et d’inconvénients que d’avantages possibles. Cet effet est très utilisé dans les relations affectives.

Le biais d’ancrage est la tendance à ne se fier qu’à sa première impression, ou aux premiers éléments fournis, peu importe les informations qui viendront s’ajouter par la suite.

Le biais cognitif de l’impuissance acquise est un comportement qui se développe lorsque nous sommes dans une situation aversive ou d’échecs répétés qui nous poussent à croire que nous ne pouvons plus changer les choses et que nous sommes condamnés à subir ce qui nous arrive. Une expérience a été faite sur deux chiens dans des cages respectives, à qui l’on envoyait des décharges électriques brèves. Une pédale était placée devant eux, et les deux chiens eurent l’idée d’appuyer dessus pour faire cesser la décharge. L’une des pédales fonctionnait et stoppait la souffrance, l’autre était inefficace. Le chien qui se trouvait dans la cage de la mauvaise pédale, se résolut au bout de quelques essais à subir la douleur, et ne tentât plus d’appuyer sur la pédale.

Le biais d’omission consiste à considérer que causer éventuellement un tort par une action est pire que causer un tort par l’inaction. Ce biais est une explication aux positions des anti-vax lors de la crise sanitaire de 2020.

Le biais cognitif du syndrome de l’imposteur est une tendance d’une personne à sous-estimer ses compétences réelles et à croire qu’elle n’est jamais à la hauteur.

La liste est non exhaustive, et ne cesse de s’étoffer. Ces détours que font nos cerveaux se révèlent parfois utiles, mais nous poussent à faire et/ou refaire les mêmes erreurs, à cause d’un jugement erroné à la base.

il n’existe pas de formule magique pour déjouer les pièges de notre cerveau, mais nous pouvons essayer de contrer les effets négatifs de ces systèmes de pensée.

Corriger les effets négatifs des biais cognitifs

Chacun de nous est soumis à un flot continu d’informations, le défi est moins de lutter contre l’ignorance que contre l’illusion de connaissance.

Le cerveau humain produit naturellement des pensées, émotions et actions automatiques, les heuristiques, qui nous permettent d’évoluer rapidement dans la complexité du monde. Aux heuristiques, viennent se superposer des pensées secondes, comme des petites voix dans nos têtes : les métacognitions (« méta » signifie au-delà, et « cognition », pensée)

C’est sur elles que nous allons pouvoir agir lorsque nous estimons que certains biais cognitifs nous portent préjudices.

Ce contrôle métacognitif a pour but de déjouer, délégitimer nos pensées automatiques néfastes. Personne ne choisit d’être influençable, jaloux, prétentieux, mesquin. En revanche nous pouvons et devons agir sur nos métacognitions.

C’est pourquoi nous devons apprendre à identifier nos pensées et émotions premières et automatiques liées à une situation problématique puis créer une distance entre les métacognitions et les pensées premières.

Ces techniques de contrôle métacognitif sont de plus en plus utilisées comme outil thérapeutique en psychologie clinique. 

Dans son ouvrage the Demon-Haunted World, l’astronome Carl Sagan a mis en place une boîte à outils très fourni pour évaluer le niveau de fiabilité des informations que nous recevons et auquel nous sommes susceptibles de croire.

Conseil n°1 : se méfier d’un argument ab hominem, c’est-à-dire d’une attaque dirigée contre une personne uniquement en vertu de son titre ou de son statut.

Conseil n°2 : attention aux arguments d’autorité. Lorsque quelqu’un met en avant son rang sa position ou sa profession, il faut étudier le bien-fondé de son argument comme s’ils étaient avancés par une personne lambda.

Conseil n°3 : repérer les fausses analogies et les arguments qui reposent sur un parallèle entre deux choses ou deux situations qui ont si peu de points communs que leur comparaison est injustifiée

Conseil n°4 : ne pas céder à l’appel de l’émotion. 

Conseil n°5 : préférer la preuve scientifique à la preuve anecdotique qui consiste à tirer une conclusion générale d’un fait ou d’un exemple isolé.

Conseil n°6 : éviter les fausses équivalences.

Réfléchissez aux mécanismes cérébraux qui sont à l’œuvre quand vous pensez, quand vous croyez, quand vous jugez. Si vous sentez que votre corps est sous tension parce qu’un sujet vous stresse, douter un peu. Si vous sentez qu’une croyance vous tient à cœur au point que vous ne pouvez supporter de l’avoir mise en doute, vous saurez que vous êtes en partie aveuglé par un raisonnement motivé : alors doutez un peu. Savoir douter de nos pensées de nos émotions et de nos intuitions quand cela est nécessaire nous conduit à voir à nouveau le monde dans toutes ses nuances et sa complexité, à prendre du recul et à nous débarrasser de nos œillères.

Partagez cet article