Young afro american woman with curly hair is happy on the coast.

L’industrie du bonheur : Le développement personnel 2.0

« Soyez heureux ! nous dictent à tout bout de champ les magazines de psychologie facile, les stars montantes de l’ésotérisme New Age, les images des publicités affichant des sourires et des lignes parfaites, des couples rutilants sur les couvertures des livres prônant une parentalité assumée.

Les rayons « bien-être » des librairies n’ont jamais été aussi fournis, nous assénant non pas la possibilité, mais l’obligation d’être heureux. Et ce filon s’avère de plus en plus lucratif pour les éditeurs. Ces livres sont remplis d’aphorisme pour booster notre psychisme tel que « devenez qui vous êtes », « souriez à la vie et la vie sous sourira », « demande et tu recevras », « apprends à te pardonner », « foutez vous la paix », « le bonheur est une affaire de vibration ».

Longtemps, le rayon « vie pratique » fut achalandé de recettes de cuisine. Mais, sur à peine dix ans, s’est opéré un glissement de la thématique santé vers le développement personnel. 

Les thèmes récurrents : quête du bonheur, chamanisme, charge mentale, Haut potentiel Intellectuel, psychologie positive, hypersensibilité, Zèbres…Le but étant d’insuffler au lecteur un espoir d’apprendre à mieux se connaître.

« Le bonheur est-il un objectif suprême que nous devrions tous nous efforcer d’atteindre ? Peut-être. Mais cela n’empêche en rien de garder une distance critique par rapport au discours tenu par les prosélytes de la science du bonheur » nous mettent en garde Edgar Cabanas et Eva Illouz dans leur ouvrage Happycratie (étymologiquement : la dictature du bonheur).

Le Rapport sur le bonheur dans le monde 2019 a enquêté sur 156 pays et a découvert que, dans l’ensemble, notre score de bonheur mondial n’était que de cinq sur 10. Ce n’est pas surprenant, étant donné le climat actuel de troubles politiques et d’incertitude économique, combiné à une augmentation indiscriminée des problèmes de santé mentale. En réponse à ces pressions, le bonheur est devenu le Saint Graal.

À l’origine du développement personnel :

  • La moralité chrétienne

L’industrie mondiale actuelle du bonheur a certaines de ses racines dans les codes de moralité chrétienne, dont beaucoup nous diront qu’il existe une raison morale à tout malheur que nous pouvons ressentir. Cela, diront-ils souvent, est dû à nos propres défauts moraux, à notre égoïsme et à notre matérialisme. Ils prônent un état d’équilibre psychologique vertueux par le renoncement, le détachement et la retenue du désir.

Nos émotions sont mélangées et impures, désordonnées, emmêlées et parfois contradictoires, comme tout le reste de nos vies. La recherche a montré que les émotions et les affects positifs et négatifs peuvent coexister dans le cerveau relativement indépendamment les uns des autres. Ce modèle montre que l’hémisphère droit traite préférentiellement les émotions négatives, tandis que les émotions positives sont traitées par le cerveau gauche.

Il convient donc de se rappeler que nous ne sommes pas conçus pour être constamment heureux. Au lieu de cela, nous sommes conçus pour survivre et nous reproduire. Ce sont des tâches difficiles, nous sommes donc censés lutter et nous efforcer, rechercher la satisfaction et la sécurité, combattre les menaces et éviter la douleur. Le modèle d’émotions concurrentes offert par la coexistence du plaisir et de la douleur correspond bien mieux à notre réalité que le bonheur irréalisable que l’industrie du bonheur essaie de nous vendre. En fait, prétendre qu’un degré quelconque de douleur est anormal ou pathologique ne fera que favoriser des sentiments d’inadéquation et de frustration.

Postuler que le bonheur n’existe pas peut sembler être un message purement négatif, mais le bon côté, la consolation, c’est de savoir que l’insatisfaction n’est pas un échec personnel. Si vous êtes parfois malheureux, ce n’est pas une lacune qui exige une réparation urgente, comme le voudraient les gourous du bonheur. Loin de là. Cette fluctuation est, en fait, ce qui vous rend humain.

  • La psychologie positive

La psychologie positive, conceptualisée aux États-Unis à la fin des années 1990, s’est imposée en Europe par le biais du management d’entreprise. Elle est devenue une discipline à part entière dans la recherche universitaire américaine, grâce notamment au chercheur Martin Seligman, de l’université de Pennsylvanie, qui l’a théorisée en 1998. Grâce à lui, le bonheur devient un sujet d’étude respectable. Il lance une revue scientifique, l’organisation de colloques et de prix universitaires.

Mais l’ambition de Martin Seligman, dépasse l’élaboration de recettes pour être heureux. Il décide de faire de la psychologie positive un courant de pensée qui embrase le monde économique et politique.

Depuis, elle se répand, notamment en Europe, par le biais du management d’entreprise, avec la création du job de « happiness manager », que l’on peut traduire par responsable du bonheur, et qui a pour mission de permettre aux salariés de travailler dans les meilleures conditions possibles, et de se sentir épanoui dans leur entreprise.

De l’école, avec la mise en place de techniques d’éducation positive, au monde du travail sans oublier celui de la politique, le développement personnel envahit, désormais, tous les pans de notre société.

La course au bonheur, un business lucratif

  • Les pilules du bonheur

La quête incessante de l’épanouissement personnel a lentement conduit à une forme de conformisation au bonheur. 

Un Français sur sept avoue prendre des médicaments pour réguler ses émotions.

Dans un contexte mondial anxiogène drainé par la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, la France déprime, et le marché des anti-dépresseurs et des anxiolytiques fleurit.

Les chiffres illustrent bien cette usure de la santé mentale des Français. 

Depuis le début de la pandémie, les psychotropes, tels les anxiolytiques de type Xanax, Lexomil, ou Temesta, ont progressé sur la période de 7 % en 2020 et de 10 % sur les premiers mois de 2021. Même constat pour les hypnotiques, plus couramment appelés somnifères, tels que Stilnox, Imovane (+ 1,4 million), ou les antipsychotiques comme le Tercian (+ 440 000). « Il y a eu une médicalisation des troubles de l’anxiété et des troubles du sommeil », affirme Alain Weill, directeur adjoint d’Epi-Phare (groupement d’intérêt scientifique constitué par la Caisse nationale d’assurance-maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament). « Ce sont des médicaments qui répondent à des troubles de l’anxiété et du sommeil sans forcément que ce soit rattaché à un diagnostic précisil y a un risque d’automédication, ces produits sont un peu le Doliprane de l’anxiété, dit le professeur Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne).

  • L’industrie du développement personnel

Avec plus de 3 milliards d’euros par an, le marché du développement personnel pèse lourd sur la planète. Entre 2021 et 2022, le chiffre d’affaires du développement personnel a augmenté en France de 17,5% pour atteindre les 71 millions d’euros. 

Des gadgets au coaching, en passant par les livres, les séminaires ou des méthodes New Age ésotériques non validées par la médecine actuelle, l’épanouissement personnel est un Eldorado pour ceux qui proposent leur « aide » à une population en quête de sens.

Parce qu’au-delà des livres, se cache un vrai business : les ouvrages proposent souvent une redirection vers des conférences, des séminaires au coût indécent, allant de 600 euros à 2800 euros !

« Ce système dit quelque chose de violent : chacun dispose de ses propres ressources pour réussir mais si certains n’y arrivent finalement pas c’est de leur propre responsabilité individuelle », critique le sociologue Nicolas Marquis.

L’obsession du bonheur : une quête illusoire ?

Des recherches démontrent que plus nous nous fixons sur le bonheur comme objectif, et plus nous le poursuivons, plus nous sommes susceptibles de devenir anxieux et solitaires, et même de montrer des signes de dépression. 

Bien sûr, il y a des gens désespérément malheureux, ou cliniquement déprimés, qui essaient de guérir, mais à côté de cela, il y a un phénomène relativement nouveau de personnes qui ne sont pas malheureuses mais qui se sont vu vendre un rêve de bonheur pour toujours. 

Nous avons fixé nos attentes à un niveau tellement irréaliste que les gens croient que les hauts et les bas normaux de la vie sont le signe de quelque chose de terriblement mauvais.

Les nombre de livres de développement personnel explose ces dernières années.

Mais l’enquête du journaliste Adrian de San Isidoro, chef de rubrique équipement et loisirs au magazine 60 Millions de consommateurs, explique que certains sont plus nocifs que bénéfiques sur ce « marché douteux du bien-être ».

 « Il s’agit, le plus souvent, de livres qui donnent ou prétendent donner des clés pour améliorer sa condition physique ou mentale. Des objectifs que le lecteur est censé pouvoir atteindre en changeant ses mauvaises habitudes, ou en appliquant une série d’exercices au quotidien. Mieux respirer, changer son alimentation, répéter des phrases pour s’auto-persuader qu’on est le meilleur. En somme, à peu près tout et n’importe quoi. » affirme-t-il.

Les dérives dangereuses du marché du bien-être

Il y a certes des ouvrages crédibles, qui ne prônent pas de recette miracle sur un laps de temps illusoire. 

Leurs auteurs bénéficient de diplômes reconnus par l’État. 

Le site de la plateforme de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes permet de s’informer sur les dérives sectaires de certains « coachs » qui se comportent plus comme des gourous que comme des thérapeutes. 

« Derrière cette mode du bien-être, ce n’est pas uniquement le fait de guérir une pathologie, c’est aussi l’idée qu’il faut accéder à une santé parfaite. Il y a une dimension spirituelle, philosophique dans tout ça. Les gourous l’ont très bien compris et ils utilisent cela pour manipuler leurs adeptes. Vous avez aussi tous ces traitements qui, au départ, sont indolores financièrement et qui le deviendront petit à petit, sous la forme de procédure de plus en plus pratiquée ou de stages » s’alarme l’ancien député Georges Fenec qui implore le gouvernement de « ne pas céder devant les charlatans ».

Aujourd’hui, pas moins de quarante mille médiums et guérisseurs exercent librement en France. Il suffit parfois d’une plaque à l’entrée d’un immeuble, ou des annonces déposées dans des lieux propices (centre de Yoga, magasins bio…)

Il faut être vigilants au sujet des medecines parallèles : kinésiologues, lithotérapeutes, maîtres reiki, énergétitiens, étiopathes, sophrologues… n’ont parfois qu’une formation de quelques semaines, voire aucune !

Le bonheur, ce sentiment intangible, ambigu, mais universellement recherché

Le Rapport sur le bonheur dans le monde a enquêté sur 156 pays et a découvert que, dans l’ensemble, notre score de bonheur mondial n’était que de cinq sur 10.

« Le bonheur compte», déclare la psychologue Vanessa King, auteur de 10 clés pour vivre plus heureux et membre du conseil d’administration du mouvement social Action For Happiness. « Se sentir plus heureux ne fait pas que se sentir bien, cela nous fait du bien. Les personnes plus heureuses sont plus susceptibles d’être en bonne santé physique, de mieux prendre soin d’elles-mêmes et même de vivre plus longtemps».

L’idée du bonheur est différente pour chaque personne. Certains pensent que l’argent et les biens matériels sont synonymes de bonheur, tandis que d’autres investissent dans des relations saines avec les amis et la famille pour se senti heureux.

Il existe plusieurs pays heureux dans le monde, dont la Finlande, la Norvège, le Danemark, l’Islande, l’Australie et les Pays-Bas. Leur liberté, leur confiance, leurs revenus, leur espérance de vie, leur générosité et leur soutien social augmentent leur satisfaction et leur bonheur.

Il a été prouvé que dresser des listes de gratitudes, faire du bénévolat, pratiquer une activité physique, s’initier à la méditation ou apprendre à s’ancrer dans l’instant présent, étaient des sources de bonheur.

Opter pour le « mieux-être » plutôt que le bonheur ?

Le psychiatre Christophe André affirme que  « si on n’a pas entre les moments de souffrance des moments de bonheur, pour nous réconforter, pour nous donner de l’espoir,  alors on se suicide. C’est grâce au bonheur que nous pouvons supporter l’adversité, la difficulté ».

Au fond de votre tête, il y a une zone du cerveau responsable du bonheur. C’est ce qu’on appelle l’hippocampe, qui contrôle la formation et l’organisation de nouveaux souvenirs et de nouvelles réponses émotionnelles.

Prendre soin de votre hippocampe est essentiel pour maintenir une mémoire saine et le bonheur même pendant les périodes creuses. 

Un hippocampe en bonne santé nécessite un sommeil suffisant, une alimentation saine composée d’OMEGA 3 et d’antioxydants, de l’exercice et des jeux cérébraux.

La sérotonine, un neurotransmetteur, est le produit chimique qui nous rend heureux. Il est responsable de notre apprentissage, de notre appétit, de notre humeur, de notre sommeil et de notre libido. De faibles niveaux de sérotonine peuvent entraîner une dépression et des sautes d’humeur. Une alimentation saine, de l’exercice et certains types de lumière aident à maintenir des niveaux de sérotonine sains.

L’exercice augmente les niveaux de sérotonine et libère des endorphines, le produit chimique « de bien-être » dans le corps. Dans certains cas, les patients aux prises avec la dépression utilisent l’exercice comme une forme de médicament plutôt que de se tourner vers les médicaments sur ordonnance.

De petits changements positifs dans vos habitudes quotidiennes vous aideront à trouver un sentiment de « mieux-être ». C’est beaucoup plus facile et plus accessible que d’essayer de gagner à la loterie.

Un médecin américain célèbre, Dr Bill Hetler, a créé d’ailleurs un modèle interdépendant nommé le concept du « mieux-être » qui semble être plus adapté que la quête obsessionnelle du bonheur. (Source : https://www.gerri.fr/sante-bien-etre/le-mieux-etre/)

Selon lui, le mieux-être est un concept multi-dimensionnel qui englobe la santé mais également d’autres sphères de notre vie telles que la sphère sociale, émotionnelle, physique, professionnelle, spirituelle, et intellectuelle.

De quoi travailler sur soi, sans se reposer sur des concepts abstraits de bonheur qui tomberait du ciel.

Bien qu’il y ait des parties de votre cerveau qui contrôlent et créent un sentiment de bonheur, il y a beaucoup plus que cela.

Alors cherchez un sens à votre vie dans les petites choses plutôt que de courir après une idée grandiose du bonheur !

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